Page:Yver - Le Metier du roi.djvu/218

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usés, troués. Leurs visages étaient malingres, terreux et féroces. Ils montraient dans leur pauvreté l’arrogance du nombre, l’orgueil du troupeau qui se sait invincible. Le palais merveilleux leur inspirait du dédain ; ils le criblaient de regards ironiques. Les femmes étaient hantées par l’idée de voir surgir le roi à quelque balcon. Jamais pareil étalage de la misère prolétarienne ne s’était offert à Clara.

La plèbe, l’idole oubliée, revenait la tenter, la reprendre, L’ivresse sociologique lui montait au cerveau. Ceux qui souffraient, ceux qu’on ignorait dans leur taudis, tous étaient là dans un pêle-mêle angoissant, tous réclamaient la justice, l’égalité, le droit au bonheur. Et Clara se sentait envahie d’une tendresse ardente. Elle aurait voulu donner tout, se donner elle-même, combler le véhément désir populaire. Elle était ressaisie. Des larmes roulaient dans ses yeux.

Les premiers rangs des tisseurs touchaient maintenant aux grilles du palais. Au lieu de dessiner le mouvement tournant qui eût fait écouler la foule par la rue du Beffroi et permis au défilé tout entier de passer en vue du palais, Kosor demeurait là, stationnait devant la grille. À droite de la tourelle centrale, le corps de garde était hermétiquement clos ; pas un garde blanc n’apparaissait. Les troupes qui encadraient la place demeuraient immobiles. Parfois un cheval hennissait dans le silence. Le flot des tisseurs arrivait