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Page:Yver - Le Metier du roi.djvu/219

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toujours. C’était l’affluent régulier qui grossit le lac. Bientôt les corps commencèrent à se tasser, mais comme les manifestants avaient adopté une marche d’une grande lenteur, c’était imperceptiblement que la masse s’élargissait. Peu à peu elle s’étendait, paisiblement, comme une nappe d’eau venue d’un fleuve débordé qui s’étale ; elle. prit les formes de la place. Mais Kosor refusait de mener la première vague vers le déversoir qui s’offrait la rue du Beffroi. On stagnait là, on se pressait, on s’étouffait.

Et soudain, devant ce palais obstinément muet, qui offrait à la formidable visite populaire un visage fermé, Ismaël Kosor fut saisi d’une colère orgueilleuse. Trente mille âmes lui obéissaient, évoluaient à son seul geste, se résumaient en lui ; frêle et chétif, il personnifiait les forces d’une cité ; une armée terrible faisait corps avec lui, et on lui répondait par un méprisant silence ? Et sa voix creuse, mais vibrante, s’éleva tout à coup. Il criait :

— Le roi, nous voulons voir le roi ! Nous voulons parler au roi.

Et du sein de la masse profonde, une colossale rumeur s’éleva, une clameur à contre-temps qui se propageait, s’enflait, issue bientôt de la foule tout entière, lasse de s’être tue :

— Le roi ! Le roi !

Brusquement Clara quitta la fenêtre de la tourelle ; sa main fiévreuse cherchait en tremblant le