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Page:Yver - Le Metier du roi.djvu/250

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lourds cheveux couvrant ses tempes, la courbe opulente de son bandeau noir touchant l’arc léger du sourcil. Elle était assise sur une chaise basse. Derrière elle, les cornues de verre, les alambics et les éprouvettes faisaient à sa silhouette un fond de mystère. Nulle part ne pouvaient mieux éclater sa grandeur de savante et sa débilité de femme. Elle était accablée, éperdue. Mais elle se redressa pour chanter le credo qui impérieusement lui montait aux lèvres.

— Je crois au règne du bonheur humain, je crois à l’avènement de l’égalité parmi les hommes, je crois à l’abolition de la misère ; j’ai vu la cité de justice et d’amour, la cité dont chacun des nôtres porte au-dedans de soi, comme en un globe de cristal, la lumineuse maquette. Les plans en sont dressés, les chiffres prêts, la conception parachevée. L’exécution seule attend. Comment pourrais-je, alors que mes yeux s’emplissent encore d’une telle vision, nier un avenir si beau, si cher, revenir à ceux qui maintiennent le passé avec ses douleurs, ses iniquités, ses haines ? Je ne puis pas, je ne puis pas.

Un sentiment de pitié les prit devant cette glorieuse jeune femme, coutumière des sciences précises, en proie aujourd’hui à une crise cruelle de doute qui n’était que trop visible. Des deux hommes, le moins susceptible de s’émouvoir qui était l’Irlandais, dit avec une nuance de compassion dans le ton :