Page:Yver - Le Metier du roi.djvu/32

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laire où régnaient les farouches casernes de l’industrie. L’ensemble des cheminées d’usines, de l’autre côté de l’eau, faisait face à la cité des clochetons et des flèches.

C’était vers ce faubourg enfumé que se dirigeait Clara Hersberg.

Les quais étincelaient, les orchestres des grands cafés laissaient entendre les envolées berçantes des valses lithuaniennes si capiteuses ; les violoncelles chantaient ; l’éclat des lustres éclairait jusqu’aux berges. Les cinq baies lumineuses du foyer de l’Opéra jetaient une lueur d’incendie. Quatre autres théâtres s’échelonnaient, dominant le port ; aux entr’actes, une foule excitée en sortait bruyamment. Clara, de son marcher ferme et vif, s’engagea sur le pont central.

Alors tout devint sombre, monotone et plat, les rues, les places, les maisons. Des ruisseaux, issus d’une filature proche, roulaient encore une eau fumante ; d’autres, venant d’une indiennerie, se teintaient de fuchsine et l’on aurait cru du sang. Et mademoiselle Hersberg, qui n’avait remarqué ni les poèmes de la pierre, ni la grâce musicale des fontaines gothiques aux carrefours, ni le clinquant joyeux des lieux de fête, ni la noire splendeur du fleuve dans la nuit, devint soudainement attentive et triste ; elle suivait des yeux le ruisseau rouge, en marchant : elle soupira douloureusement. Si ce n’était pas le sang de la plèbe industrielle, est-ce que cela n’évo-