Page:Yver - Le Metier du roi.djvu/320

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dix personnes assemblées, elle lui dit, sans dissimuler une tendresse mystique :

— Oui, Votre Majesté ne pense pas assez à ceux qui l’aiment…

Cependant Clara ne pouvait oublier trente années d’une fraternité généreuse où elle et Kosor avaient tout partagé, où ils avaient mis en commun les pensées, les affections, les biens et les rêves. Ils se devaient tout l’un à l’autre. Une femme peut avoir aimé et laisser mourir en elle, totalement, l’image de celui qu’elle n’aime plus. Mais une sœur ne peut déraciner les souvenirs laissés en son âme par l’homme dont l’enfance a été mêlée à la sienne. L’ascendant masculin du frère s’impose là sur une âme trop tendre pour que l’empreinte s’efface jamais. Clara avait trop été la sœur d’Ismaël pour cesser tout à coup d’être occupée de lui. Elle savait que, prisonnier chez le professeur, ne sortant qu’aux ténèbres, peut-être même jamais, il tenait dans ce logis intellectuel une petite cour où des jeunes gens, étudiants, écrivains, journalistes républicains, le fêtaient en secret. Son exil, la condamnation suspendue sur sa tête, le danger qu’il courait de régner ainsi en plein Oldsburg, devaient contribuer à son prestige avec ce nom de Kosor qu’il portait. Sans doute, entouré de cette jeunesse sur laquelle sa maturité commençait à lui donner un avantage, enseignait-il sa