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Page:Yver - Le Metier du roi.djvu/53

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mais elle ajournait sans cesse l’union, et il se résignait, l’ayant toujours traitée en femme presque divine. Elle lui paraissait mystérieuse, insaisissable, incompréhensible il était pour elle le compagnon d’enfance dépourvu de secret et d’inconnu. Il était amoureusement curieux d’elle elle ne l’était pas de lui. Elle commandait leur destinée, car sa nature pondérée se sentait la plus forte. D’ailleurs sa belle carrière pleine de joie la satisfaisait ; pourquoi se donner si vite ? Il y avait dans la certitude de l’union future, dans leur tendresse mutuelle, une joie paisible qui contentait pleinement la jeune fille, et sans s’expliquer ses résistances elle les justifiait ainsi aux yeux d’Ismaël :

— Tu sais bien qu’en pensée je suis déjà ta femme. Mais si je t’appartenais dès maintenant, notre bonheur ruinerait notre œuvre. Notre maître, lui, ne s’est jamais permis d’aimer. Il savait bien que les tendres délices de l’amour absorbent les énergies et qu’un pasteur d’hommes se doit tout à son troupeau. Tu as recueilli son héritage, Ismaël ; le prolétariat souffre ; comment serais-tu tout à ta tâche si nous, nous étions tout l’un à l’autre ? Vois tous les meneurs, les philosophes, les prophètes ils ont repoussé la femme de leur vie. Tu n’es point seul. Je t’aime tendrement, je serai à toi le jour où tu auras triomphé.

— Et notre jeunesse, gémissait-il, notre jeu-