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Page:Yver - Le Metier du roi.djvu/74

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au pas de course, criant les journaux du soir avec les dépêches commerciales. Une foule assiégeait les bureaux de poste et les fils aériens, transmetteurs de l’activité industrielle, suspendaient au-dessus de la cité le vol entrecroisé des phrases, des ordres, des commandes, des offres, des tarifs et des cours. À mesure qu’on approchait du port de commerce, les sifflets des remorqueurs en partance se faisaient entendre ; ils s’en allaient lentement, traînant au fil de l’eau les lourds chalands où s’arrimaient jusqu’au bord les fûts de sapins de Lithuanie. Du pont on les voyait à peine à la lueur jaune et dansante que leurs falots laissaient tomber sur les vagues du fleuve. Au faubourg, la fièvre s’accroissait encore ; des panaches de fumée se gonflaient et se boursouflaient aux faîtes des cheminées d’usine dont la futaie hérissait ce quartier de la ville ; les filatures se succédaient au long des rues rigides, et dans toutes c’était comme un regain de fureur au travail. Par les grandes baies on apercevait au plafond des ateliers la fuite vertigineuse des courroies de transmission : les claviers du métier se déplaçaient, pareils à des mâchoires géantes broyant leur proie ; et l’on entendait du dehors l’essoufflement du monstre de fonte, la bête haletante de la machine pressée, harcelée, donnant un dernier effort, dont tout le sous-sol trépidait. Pendant que la bâtisse vomissait à la rue des ruisseaux d’eau fumante, traînées sanglantes de la fuchsine, ou rinçure lai-