Page:Yver - Le Metier du roi.djvu/75

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teuse et chlorée des pièces de cotonnades, les carreaux souillés des fenêtres s’emplissaient d’une buée tiède, et, tout frémissants dans leur châssis, on les aurait dits baignés d’une sueur d’angoisse.

Ismaël et Clara ne se disaient rien. Ils venaient de sentir ensemble la formidable activité sociale, cet engrenage aux mille rouages divers où chaque unité humaine représentait une fraction infime, mais nécessaire, du mouvement général. Depuis l’enfant chargé à l’usine de verser de minute en minute une goutte d’huile à l’aisselle d’un clavier, jusqu’au monarque présidant la Chambre-Haute parmi les cariatides d’or de la salle du trône, tout l’organisme fonctionnait frénétiquement, dans une cohésion, une harmonie simulant à merveille la perfection. Et la formule de cette organisation avait beau être à base d’inégalité, le roulement de l’engrenage était si colossal, la vitesse acquise si folle, et la force du tout si redoutable, que les deux révolutionnaires éprouvaient intimement leur impuissance. Façonner un autre monde, d’après une autre synthèse ?… Quel géant réussirait cette gageure ?

Soudain partit dans l’air nocturne le sifflet déchirant d’une sirène, puis deux, puis trois, puis plusieurs ensemble, discordants, à contretemps, dans un chœur affreux d’animaux en furie. En même temps la porte d’une des ruches s’ouvrit, et les laborieuses abeilles en sortirent.