Page:Yver - Le Metier du roi.djvu/76

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C’étaient des femmes en sarraux bleus que de minuscules houppettes de coton répandues sur leur cou, sur leurs manches, sur leurs pâles cheveux de Lithuaniennes, avaient poudrées. Beaucoup retenaient cette neige légère de coton jusque dans leurs cils au travers desquels brillaient des yeux étranges. Elles sortaient par grappes d’amies, lâchant de gros mots par plaisir, s’injuriant, se plaignant, toutes amères, toutes assombries d’une tristesse bruyante, débordante, tumultueuse. Elles portaient à la main la petite gamelle d’émail qui avait contenu la soupe du matin, car on déjeunait à l’usine. Elles frissonnaient au vent d’hiver, déjà rude ; maigres, mal vêtues, elles se hâtaient vers la crèche où les attendait la progéniture en bas âge, tandis qu’une marmaille plus âgée battait le ruisseau dans des ruelles infectes. Enfin le pas lourd des hommes retentit. Les blêmes artisans, tous alcooliques, étiolés dans l’air chaud des ateliers, se mêlèrent aux femmes. Ils se taisaient, trompant le froid de leurs membres en s’entourant le col d’épais cache-nez de laine.

La rue s’emplit. Un murmure sourd, un bourdonnement s’y enflait lentement. D’autres usines dégorgeant d’autres centaines d’ouvriers, la masse plus compacte s’allongea encore. C’était une cohue épaisse s’encombrant elle-même, se refoulant. Les hommes envahissaient les débits, les femmes couraient aux charcutiers, aux herbières