Page:Yver - Le Metier du roi.djvu/77

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qu’on assiégeait. Il y eut des disputes pour un crédit qu’une marchande refusait. Une odeur forte d’humanité flottait, que couvraient l’odeur de la fonte et celle de la sueur mêlées, issues des ouvriers de la machine. Puis insensiblement le troupeau se dilua, les ménagères emportant leur gamelle fumante, pleine d’un brouet ou d’une herbe cuite, couraient maintenant au logis, récoltant en cours de route des grappes de petits enfants loqueteux qui pleuraient de sommeil. Les maisons se repeuplaient. On voyait les fenêtres s’y allumer une à une. C’était l’heure du repas du soir qu’on prenait insuffisant, mal préparé ou avarié dans des chambres glaciales, parmi le désordre des lits et des eaux sales abandonnés en hâte le matin pour courir à l’usine. C’était l’heure où l’on s’efforçait de composer tant bien que mal une famille ; mais à peine si l’on se connaissait, on était un assemblage d’êtres animalement mêlés, jamais unis. Le foyer sans douceur répugnait à l’homme ; la loi d’airain qui condamne la femme au travail extérieur faisait de la maison quatre murs d’abri dont était banni tout charme. Les enfants, nés souffreteux après une gestation épuisante, grandissaient dans la rue, ignorant presque le visage de leur mère. Et dans ces rencontres de hasard, tous mécontents les uns des autres, on exhalait en plaintes ou en injures le fiel dont on était saturé. Souvent l’homme hésitant à rentrer demeurait à boire avec d’autres.