Page:Yver - Le Metier du roi.djvu/78

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— Tu vois, disait seulement Clara, tu vois, Ismaël… L’humanité le reprenait comme une maîtresse qui n’a qu’à se montrer pour que l’on tombe à ses pieds. Sa flamme renaissait, son rêve l’envahissait de nouveau. Ah ! refaire la société cruelle, verser l’abondance de la vie à cette malheureuse plèbe, dignifier ces bêtes humaines, niveler les monstrueuses inégalités mères de tant d’abjection, ôter aux repus pour combler les affamés !

— Tu vois comme il faut les aimer, avoir pitié d’eux : toi qui parlais tout à l’heure de les abandonner.

Comme Clara disait cela, dans la rue sur le trottoir dégagé, ils virent passer une vieille tisseuse dont les rhumatismes retardaient la marche ; elle paraissait cent ans ; des mèches jaunes retombaient sur son visage, chaque pas lui coûtait un soupir douloureux. Ce devait être une ancienne ourdisseuse dont on utilisait encore à l’usine les suprêmes forces pour quelque enfantine besogne. Elle rentrait seule, emportant en son taudis quelques déchets de nourriture au fond de sa gamelle et si mûre pour la mort elle devait encore lutter pour vivre puisqu’on sentait dans son misérable corps tout l’effort d’une journée de travail. Cette vieille femme condamnée à un sort si dur synthétisait toute la misère de sa caste. Ismaël et Clara la considérèrent jusqu’à ce qu’elle