Page:Yver - Le Mystere des beatitudes.djvu/23

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lemment, allait répliquer. Mais Augustin Muzard, qui n’avait pas fini et s’était interrompu seulement pour boire une gorgée de bière, lui coupa la parole, sa main osseuse, petite et toute frémissante de pensée, tendue vers la place.

— Regardez ça, continua-t-il, regardez cette frénésie des moteurs, et ces hommes plus trépidants encore que leur machine, où tout cela se rue-t-il ? Vous savez bien que l’on peut le pronostiquer à coup sûr pour les deux tiers, à tout le moins, cela va vers le gain, vers la fortune, car de sa naissance à sa mort, c’est en réalité ce que poursuit l’homme. Interrogez celui qui passe, lisez ses pensées, les combinaisons de son esprit ; est-ce qu’elles ne tendent pas toutes à l’argent ? Les grandes passions, l’amour, la haine, elles pâlissent, elles paraissent puériles à côté de celle-là. Quant à l’ambition, elle n’est qu’incluse dans le désir de l’argent, car vous n’ignorez pas que si, par exemple, les hautes charges n’étaient. pas rétribuées, et comment ! il ne se trouverait personne pour les tenir. Eh bien ! quand je vois l’argent, chose vile en soi, chose qui devrait être inerte et morte, animée d’une telle puissance, se faire plus vie que la vie même, de moyen devenir but, et, en même temps que le but, l’excitateur de tout le mouvement humain vers ce but, je dis avec Huysmans : « Ou l’argent qui est ainsi le maître des âmes est diabolique, ou il est impossible à expliquer. »