Page:Yver - Le Mystere des beatitudes.djvu/24

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— Vous croyez donc au diable, Muzani ? fit Nassal avec sa grosse ironie.

— Ma foi, à force de me heurter à lui partout, à force de le rencontrer constamment, je commence à penser qu’il existe, dit le jeune homme, sans qu’on pût savoir au juste s’il plaisantait.

— Mais non, reprit enfin Solème, dont les idées, moins fulgurantes que celles de son ami, venaient au jour avec plus de lenteur, plus d’effort ; mais non, l’argent n’est pas diabolique, au sens même où tu l’entends ; c’est divin qu’il faut dire. au contraire, car sans lui, rien de grand, rien de bon, ne se serait fait. Imaginons une divinité bienfaisante en présence de l’apathie, de la lâcheté de la race humaine ; comment animera-t-elle cette masse, comment l’incitera-t-elle à tout entreprendre, comment la fera-t-elle progresser ? Le désir du confortable, l’appât du bien-être ne peut être que personnel et n’opère que si l’individu travaille pour lui. Il faut, pour que l’homme entreprenne ce dont il ne jouira pas, un mobile aussi puissant que l’intérêt propre. Alors, la divinité inventera l’argent qui socialisera l’effort, le répartira sur tous les besoins publics, le rémunérera individuellement. Mais cela est admirable, Muzard, cela est digne d’une divinité tutélaire ! Et plus il y a de puissance mystérieuse en l’argent, plus je trouve justifiée notre adoration.

Le banquier, soulevant sa petite tête, le cigare entre deux doigts, répéta gravement :