Page:Yver - Le Mystere des beatitudes.djvu/26

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criez pas si haut, car on sait bien ce que ça signifie, l’opulence d’un peuple ! »

— Sacré farceur ! dit Jean Solème, si demain tu héritais, je voudrais bien te voir !

— Si demain j’héritais, prononça Muzard, sourdement, je ferais comme les autres, je serais contaminé. Et l’homme relativement propre que je suis dans ma pauvreté connaîtrait les péchés qui me sont maintenant impossibles, tels que l’avarice, l’égoïsme cruel, la paresse et toutes les gourmandises. Ah ! ce n’est jamais beau, un pauvre qui devient riche ! Sa générosité natu- relle, qui faisait que ce qu’il donnait était de sa propre substance, sera bientôt combattue par cet amour du pécule, cette tendresse ignoble qui s’éveille dans l’homme dès qu’il possède. Et ce pécule lui deviendra tellement sacré, tellement intangible, que tous les maux humains qu’il verra souffrir autour de lui et qu’il pourrait soulager en puisant dans le vif de son bien, lui deviendront indifférents. L’or engraisse l’égoïsme, boursoufle l’orgueil, aveugle les yeux clairs. Et, comme je ne suis pas meilleur qu’un autre, je subirais les transformations fatales.

Le vacarme était devenu tel sur la place qu’on entendait à peine Muzard, dont la voix était sourde et voilée. Les bruits d’essieux, de freins, de moteurs, de cornes d’autos, traversés par les noms des journaux du soir, que les crieurs lançaient à la course, formaient un unisson formidable, et