Aller au contenu

Page:Yver - Les Cervelines.djvu/102

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

ces voiles orange, pourpre, violets ou verts, qui paraissaient sans poids, marcha vers le mannequin posant à l’angle de l’hémicycle. Elle l’articula à souhait, le mit en vue, et prestement commença ses évocations étranges de la femme antique.

Le silence se fit. Elle semblait s’amuser extrêmement ; c’était un jeu pour elle, on l’aurait crue dans un salon au milieu d’amis qui, dans la réalité, se chiffraient ici par centaines. Comme une femme du monde retrace ses ennuis de couturière, elle conta les difficultés surmontées pour s’être procuré ces tissus particuliers commandés en Angleterre, et teints à Briois d’après ses propres indications. Et, tout en causant, elle fronçait au cou du mannequin un long pan d’étoffe indigo qui fut en quelques minutes une robe. On entendait, d’instant en instant, crier son long ciseau miroitant, et, sans s’être dégantée, elle cousait de rapides enfilées qui faisaient des plis de statuaire. Sur ce bleu cru et violent de la tunique, elle posa une soutane orange, taillée d’avance et légère comme une gaze ; du bas en haut de l’étoffe ses doigts coururent, rebroussant des plis qui se tendirent comme de souples cordes lâches, et, tenant dans sa main toute cette gaze ainsi froncée, elle la fixa sur l’épaule, d’où semblèrent ruisseler toutes les lignes du vêtement : le péplum était fait.

Personne ne la regardait plus alors que Jean Cécile, perdu dans la foule, contre une fenêtre là-haut. Il n’avait jamais conçu d’une personne inconnue une image différant plus de la réalité qu’en cette circonstance. À l’amie de Jeanne