Page:Yver - Les Cervelines.djvu/103

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Bœrk il avait prêté, depuis qu’il entendait prononcer partout son nom, les virilités froides de cette belle fille, jusqu’à sa force corporelle, jusqu’à l’impassibilité de son âme, sa sécheresse cachée. Il l’avait vue en pensée, grande, le regard dur, orgueilleuse de sa science. Et il avait maintenant devant lui ce petit être vibrant et plein de charme, à l’exubérance distinguée, exprimant dans un langage ordinaire les plus éternelles choses de l’art. « Une paléologue doublée d’une modiste », disait-il à Tisserel en la voyant créer, en quelques coups de doigts, ces formes de la beauté antique.

Le plus joli de tout fut la pose du voile, quand Mlle Rhonans prit à deux mains une étoffe d’un blanc jaunâtre, aux transparences indécises, et qu’elle en cacha le chef horrible du mannequin. Une femme naquit vraiment, mystérieuse, flottante, qu’on aurait crue vive dans ces étoffes, sans visage, sans mains. Ce fut si vrai que Marceline elle-même, saisie, s’arrêta, une seconde, éprise de son œuvre.

Et pendant cette seconde, au hasard des rangs, à droite, à gauche, partout, des auditeurs s’étaient levés. L’admiration les emporta ; ils crièrent : « Bravo ! » avec une hésitation ; puis, voyant qu’ils allaient entraîner la salle s’ils le voulaient, timidement battirent des mains. Soudain, l’amphi-théâtre crépita comme un tonnerre. Du même coup, tout le monde était debout, et il n’y avait qu’un seul bruit de toutes ces mains, mains gantées de femmes, paumes d’hommes nues et sonores, menottes nerveuses des petites lycéennes s’entre-choquant dans le délire. C’était la dernière conférence de l’année. L’enthousiasme accumulé