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Page:Yver - Les Cervelines.djvu/110

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Jean ! murmuraient ses lèvres, sans bruit dans le fracas de l’orage, vous rendre heureux ! »

Puis elle pensait chagrinement à Paul dont elle devait aussi faire le bonheur, sous une telle obligation, lui semblait-il, que, cette nuit, si Cécile était venu la demander en mariage, elle l’aurait repoussé pour éviter à son frère le chagrin de demeurer seul dans sa maison. Que deviendrait-il sans elle ? Et les comptes de la clientèle ? Et les cigarettes qu’il ne roulait jamais lui-même ? Et les repas qui seraient solitaires ?… Jean et Paul ! Elle était à l’un, elle était à l’autre, mais si différemment ! si passionnément attirée vers l’un, si tendrement par sa conscience vers l’autre ! Et son instinct de se dévouer, hésitant, revenait encore vers celui pour qui le dévouement ne se payait d’aucun délice, simple devoir fraternel. Elle eut aussi la pensée de Sultan, qu’elle entendait dans le jardin secouer sa chaîne sous l’ondée, et qui serait malheureux, elle partie. Pauvre fontaine d’amour, ruisselant vers tout ce qui vivait, et qui, sans le savoir, s’épuisait, s’en allait ainsi en silencieuses tendresses méconnues !

Elle sentit froid. « Être un tout petit peu malade, songea-t-elle, pour qu’il ait peur, pour qu’il revienne !… » Et elle demeura sans mouvement à regarder les lourds marronniers assouplis et fléchissants sous l’étreinte de la rafale. Puis, si brave qu’elle fût, il y eut soudain un tel coup de tonnerre semblant déchirer des voiles de bronze dans des nues si proches, qu’elle fut terrifiée. Elle bondit à son lit où elle s’allongea, un peu essoufflée.

Quelque chose continuait de l’oppresser ; quel-