Page:Yver - Les Cervelines.djvu/120

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qui la connaissaient de plus près n’auraient jamais pu se rappeler l’avoir prise en défaut de complaisance. Elle mettait à rendre service à ses amis une bonne grâce extrême, qui ne comptait ni la peine, ni les accrocs à sa stricte vie réglée ; et puisque son maître Tisserel avait désiré qu’elle vit sa sœur, sans cesser de railler pour cela cette sympathie passionnée qu’elle avait lue en lui ce matin, elle allait la voir, ni très coquette, ni très bonne, serviable par nature, tout simplement.

Quand on introduisit dans la chambre d’Henriette cette dame de mise un peu étrange, qui ressemblait à une belle touriste cossue et sobre, il ne restait plus rien en elle de l’étudiante hardie que connaissait l’Hôtel-Dieu, nourrie du sans-gêne et du sans-façon carabins. Elle se sentait un peu désorientée en approchant de cette jeune fille du monde, d’un monde très fermé pour elle qui n’avait été, jusqu’à treize ans, qu’une fille de fermiers. Il était toujours demeuré en elle un peu de la gamine rude d’autrefois. Quand l’Université était venue cueillir dans son village, voisin de Landrecies, cette petite fille dont l’instituteur avait dénoncé la valeur, elle aurait pu se prêter, en même temps qu’à l’élaboration intellectuelle dont elle était le sujet, à un certain transformisme moral, auquel les filles du peuple s’assouplissent si aisément. Mais elle avait trop conscience de soi, de sa nature, pour éprouver le besoin de rien emprunter aux castes qui n’étaient pas la sienne. Elle ne devait pas chercher à changer. Pourtant ce matin, devant cette jeune malade exténuée dans le creux de son lit, silen-