Page:Yver - Les Cervelines.djvu/121

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cieuse, ignorante de tout ce qui meublait la puissante mentalité de la doctoresse future, elle s’intimidait, craignant de manquer d’usage.

Tisserel était là, près du lit. La vue de Jeanne l’illumina. Il se leva d’un mouvement fou, vint à elle, prit sa main et l’écrasa dans les siennes.

— Oh ! mademoiselle Bœrk, murmura-t-il, que vous êtes bonne !

Ce mouvement de tendresse n’échappa pas à Henriette, non plus que le sourire indéchiffrable par lequel l’interne y répondit ; immobile dans l’oreiller par l’effroi du sang qui pouvait sourdre encore de sa poitrine déchirée, dépassant, sans oser bouger, toutes les prescriptions de son frère, elle suivait de ses mouvantes prunelles et de son âme attentive ce qui se passait près d’elle. Surtout, elle dévorait des yeux cette Jeanne Bœrk qui remplissait ses pensées, depuis qu’elle la savait aimée de Paul. Pour la première fois elle allait lui parler.

— Le docteur a désiré que je vous voie, mademoiselle, fit Jeanne gauchement en venant au lit ; voyons, vous êtes donc malade ?

— Pas bien malade, mais je suis contente que vous soyez venue, répondit Henriette en la fixant des deux gemmes bleues ardentes et limpides qu’étaient ses jolis yeux de brune.

Et comme l’étudiante se penchait pour prendre sa main, Henriette émue jusqu’aux larmes, dans un sourire fin et entendu qui voyait déjà mille choses poétiques de fiançailles entre cette jeune femme et son frère, lui lança le bras autour du cou et lui donna le plus tendre, le plus doux baiser de sœur que la Cerveline eût jamais reçu.