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Page:Yver - Les Cervelines.djvu/123

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mobilisée, lui sourire finement au travers des frisons de Jeanne.

Le cœur d’Henriette ! Jeanne Bœrk l’écouta longtemps battre à secousses incomplètes, alourdi et gonflé des tendresses qui l’étouffaient. Silencieuse et absorbée dans un travail puissant de synthèse, elle s’attardait aux secrets de cette poitrine qui parlait en bruissements sinistres. Sa force et son autorité rayonnaient maintenant ; elle n’était plus ni la campagnarde, ni l’étudiante garçonnière et fruste, ni la fille rude qu’on aime en vain, ni la femme d’exception de qui les yeux ont tout vu de la misère humaine ; elle était la Science. Nul à l’Hôtel-Dieu de Briois n’avait de l’auscultation le maniement sûr qu’elle en possédait : cette sagacité de l’oreille mêlée à la connaissance anatomique qui construit comme un nouveau sens occulte de la vue. Tisserel le savait, elle auscultait mieux que lui ; mieux que le père Le Hétrais, le maître de l’École, mieux qu’aucun des autres chefs de service. C’est pourquoi il lui avait demandé de venir.

Henriette ensuite s’assit et se courba dans le lit sur Ses genoux ; elle présentait à l’oreille de l’étudiante les omoplates blanches et maigres, qui apparaissaient sous la dentelle de la chemise. Elle était souffreteuse et chétive auprès de l’opulence fraîche de Jeanne, et la soie rouge du corsage appuyé contre elle la blêmissait. On entendit le tapotement des doigts de mademoiselle Bœrk qui percutait. Ce fut interminable.

— Je suis bien malade, n’est-ce pas ? demanda-t-elle en se recouchant.

Jeanne, les yeux fixés au plancher, réfléchissait