Page:Yver - Les Cervelines.djvu/127

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m’avez rendu service autrefois, à propos d’une affaire que vous savez ; les choses n’ont pas marché selon votre complaisance, il le valait mille fois mieux ainsi ; j’étais en passe de la pire nigauderie, les circonstances m’en ont sauvé.

« Mais c’était une chance d’un ordre négatif, en me préservant d’une erreur irréparable qui faisait mon malheur, elle ne m’a pas rendu heureux. Je mène ici la vie la plus sotte du monde, je soigne trois érysipèles, autant de catarrhes, quatre ou cinq gastralgies, une demi-douzaine de cancers, et je rentre le soir si las que dans mon cabinet je m’endors en voulant lire. L’existence matérielle elle-même me réserve à tout moment des surprises désagréables ; je suis chez moi à l’hôtel, inconfortablement, et je m’ennuie. Décidément, je crois que rien ne vaut le ménage. Il faudrait que quelqu’un me mariât.

« Voudriez-vous, mon cher Maître, vous charger de la besogne ? Vous me connaissez assez pour me choisir une femme. Je ne suis pas absolument difficile, n’agissant en cela sous nulle pression d’entraînement bête. Je la voudrais seulement silencieuse, souriante et très jeune. Ignorante surtout ! ne sachant rien au monde que s’habiller bien ; une toute petite cervelle d’oiseau, incapable de penser plus d’une minute (que peut-on bien faire d’une femme qui pense !) et dont je sois le mari, mais pas le lecteur.

« Il suffirait qu’elle m’apportât en dot de quoi payer sa modiste et sa couturière. Ma clientèle la nourrira et lui donnera des gâteaux, car je la veux gourmande, avec de jolies dents. J’ai gagné deux cents francs le premier mois que j’ai exercé. Le