Page:Yver - Les Cervelines.djvu/138

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mais le même ne convient pas à chacun, et la grande sagesse est de se connaître assez pour bien choisir le bonheur convenable à son tempérament. Je suis une créature de travail. Être heureuse, pour moi, consiste à éliminer les joies étrangères à mon bonheur spécial. Jeanne Bœrk et moi sommes pareilles en cela ; mais elle est moins tentée que moi par mille choses. Elle n’aurait jamais l’idée qui m’a hantée, tout hier, d’abandonner sa profession pour vivre en famille, facilement. Il y a des âmes qui se contentent de Dieu, il y a des femmes qui se contentent de l’amour de leurs enfants, mais la plupart des gens sont tellement affamés de bonheur qu’ils veulent mordre à tous, sans s’occuper duquel leur est propre, de celui qu’ils peuvent s’assimiler.

Et elle se mit à ouvrir des lettres qui étaient venues en son absence. Il y en avait trois ou : quatre. Aucune n’était signée. Elles étaient inspirées par la dernière conférence de mademoiselle Rhonans, écrites sous cette influence demi-amoureuse qui avait ce jour-là entraîné son auditoire à un éclat. Elle souriait en lisant.

« Qu’il doit faire bon, gracieuse savante, disait la plus prolixe, écrite par des doigts tremblants ; qu’il doit faire bon marcher dans le chemin de la science guidé par votre main aussi ferme que douce. Je voudrais redevenir enfant pour être votre écolier. Qu’il me soit permis au moins d’effeuiller sous vos pas, sans que vous sachiez jamais de quel bouquet fané ils tombèrent, les pétales parfumés encore de mystérieuses roses. »