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Page:Yver - Les Cervelines.djvu/152

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la petite porte brune, rigide, semblait remuer illusoirement.

Jean s’efforçait à ressaisir en lui le souvenir, l’image, les traits de Mlle Rhonans, et tout fuyait. Il n’était plus lui-même, il n’avait plus ni réflexion, ni conscience de soi ; et il souhaita soudain si fort de la revoir, qu’il vit la porte s’ouvrir en effet, et que Marceline un peu pâle, toute en noir, entra.

Elle vint les yeux baissés prendre le fauteuil préparé ; sa main, invisiblement tremblante, disposa sur le buvard ses notes en feuillettements hâtés. On n’entendait pas un souffle. Sous l’éclat violent de l’abat-jour, on voyait penché son visage très blanc, avec, au fin rebord des tempes, le dessin ondulé d’un lourd bandeau noir. C’était une coiffure nouvelle qui lui seyait beaucoup. Enfin, lentement, elle leva la tête, et ses yeux rencontrèrent, étagés dans le vague, ces yeux sans nombre qui la regardaient. Elle dit d’une voix légèrement altérée :

— Je parlerai cette année d’Athènes.

Cécile n’entendit pas un mot de ce qu’elle disait. Il buvait sa vue délicieusement. Il pensait :

— Quel sorte d’homme suis-je ? J’ai trente-deux ans ; qu’ai-je fait de ma vie ? Je suis une loque. De tous mes désirs, de tous mes efforts, de toutes mes pensées, de toutes mes ambitions et de tous mes actes mis bout à bout, depuis que je me connais, ressort-il quelque chose qui puisse s’appeler un homme ? Moralement aujourd’hui, je suis la résultante de mille minutes successives mais décousues. Oh ! la belle continuité forte de cette femme qui avoue être une volonté, qui sait ce qu’elle veut faire d’elle et qui le fait. Le bonheur qu’il doit y