Page:Yver - Les Cervelines.djvu/16

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l’accompagne, c’est mon élève, mademoiselle Jeanne Bœrk, l’interne de mon service à l’Hôtel-Dieu.

Très jovial au café, avec sa redingote déboutonnée sur le buste large, sa pipe qu’il tirait d’un coup de lèvres plébéien, son haut de forme de travers, Tisserel, pour prononcer le dernier nom, cessa de fixer son ami de ses belles prunelles luisantes de brun. Il prit sa pipe, secoua les cendres sur le rebord de la table, avala son bock, et, caressant sa barbe, regarda obstinément vers la coulée du fleuve, dans le noir du quai.

L’ami murmura :

— Je suis tout de même heureux de la connaître enfin.

— Pourquoi enfin ? demanda Tisserel ingénument.

— Parce que tu en parles tout le temps ; tu trouves toujours le moyen de glisser son nom à propos de tout et à propos de rien, sans t’en apercevoir peut-être, hein ? Alors cela m’avait donné envie de la connaître… Elle est fort bien.

Tisserel paraissait ennuyé.

— Il y a un an… commença-t-il.

Il s’étendit, fuma quelques secondes silencieusement, les yeux mi-clos. Son ami l’avait regardé d’un éclair rapide et timide des prunelles, puis avait repris son immobilité. Il était petit et fluet ; c’était un être caché.

— I] y a un an, reprit Tisserel, quand elle est entrée dans mon service, c’est vrai que j’ai eu la petite commotion, là, en plein. C’est une jolie fille, une campagnarde très saine, très belle de formes. Dans les salles blanches de l’hôpital,