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Page:Yver - Les Cervelines.djvu/164

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de l’eau, » et se rendit à l’appartement contigu, qui était à proprement parler la salle de garde, bien qu’on en étendit le nom au réfectoire des internes. Elle savait qu’une fontaine s’y trouvait. D’Ouglas la suivit. On se rassit ; la table clamait :

    Il est d’venu homme sandwich
    Sur le boul’boul, sur le boul’Mich’
    Lui qu’était le plus rigolo,
    Du service des hôpitaux.

Tisserel, inquiet et mécontent, vit ce jeune homme, qu’il détestait à cause de sa contemption pour Jeanne, l’accompagner dans ce cabinet voisin et s’y enfermer avec elle. Il aurait donné dix ans de sa vie pour soustraire la jeune femme aux taquineries de l’interne ; la crainte de jeter sur elle un ridicule par cette sollicitude ostensible le clouait à sa place. Il lui semblait entendre la voix de Me Bœrk s’animer de colère ; mais le tapage de la table devenait assourdissant, et il se pouvait que ce fût une illusion. Plusieurs minutes se passèrent ; il crut qu’il n’y pourrait pas tenir, il tremblait.

La porte s’ouvrit, et Jeanne reparut, sérieuse. Ce fut d’Ouglas que Tisserel regarda, et il vit dans ses yeux, avec son air puéril mélangé de cynisme, quelque chose de mauvais ; sa bouche se pinçait sous la moustache naissante, les ailes du nez maigre riaient. Jeanne vint reprendre sa place ; il s’aperçut soudain qu’elle n’avait plus au cou son collier. En même temps, le silence se fit, un silence déconcertant pour l’oreille, après le tumulte passé ; il ressemblait à un réveil après l’ivresse.