Page:Yver - Les Cervelines.djvu/165

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D’Ouglas demeurait mystérieux et muet. Tous les regards vinrent se fixer au beau col nu de Jeanne. Elle, sans nul trouble, promena ses yeux glacés sur tous les convives.

Après le fromage, sans bruit, elle se leva et disparut. Elle avait dit, pour Tisserel seul :

— J’ai ce soir à travailler.

Mais elle ne fut pas plus tôt hors de la salle, que celui-ci quittait la table à son tour. Instinctivement, par une divination d’amoureux, il avait senti ce soir la vaillance fléchir en elle, et comme une détresse morale. Elle souffrait ! À cette pensée, le monde entier n’aurait pu le retenir de se jeter à sa suite, d’aller à elle, de lui offrir son appui.

On le rappelait :

— Docteur ! docteur ! où allez-vous ?

Il referma la porte sur lui sans répondre.

Il monta l’escalier quatre à quatre, et rejoignit Jeanne sur le palier du second étage où se trouvait, parmi quelques chambres d’internes, la sienne.

— Vous êtes souffrante ? lui demanda-t-il, essoufflé.

— Pas du tout. J’en ai assez d’être en bas, voilà !

— Ainsi vous le voyez, ils sont parvenus à vous lasser.

Sur le petit pavé rose de l’escalier, sa jupe noire traînait ; elle se tenait des deux mains à la rampe de fer forgé en arabesques. Une lampe très voisine illuminait la soie du corsage et celle de sa chevelure. Tisserel, un instant, crut voir humides et rougies ses paupières baissées. Cette vue le bouleversa. Jamais, depuis qu’ils se connaissaient, ils