Page:Yver - Les Cervelines.djvu/189

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et l’importance de cette question, unique à ses yeux classe pour elle les choses de la vie bien plus que leur portée réelle. Cependant elle m’avait parlé de monsieur Tisserel, dont elle se savait aimée.

— Et que vous en a-t-elle dit ?

— Si peu de chose ! Elle regrettait d’avoir été remarquée à ce point par lui, puisqu’elle ne peut pas lui donner le bonheur qu’il souhaite avoir près d’elle.

— Elle ne peut pas ! fit Cécile durement, et pourquoi ne peut-elle pas ?

— Jeanne Bœrk n’est pas une femme semblable à une autre femme, monsieur ; les conditions de sa vie en font un être d’exception ; c’est, si vous voulez, une femme savante.

— Oui, je le sais, et prodigieusement savante ; mais quelle loi, voulez-vous me le dire, s’oppose à ce que, telle qu’elle est, pétrie de pathologie, farcie de cliniques, dévorée vive par les curiosités techniques, elle se laisse aimer par ce bon garçon de Tisserel qui en est fou ?

Marceline réfléchit un long moment, puis répondit :

— Elle n’a pas le temps !

Une irritation secrète prenait Cécile et le poussait à l’agression. Lorsque, timidement, désolé et sans espoir, Tisserel lui avait suggéré de voir en sa faveur l’amie de Jeanne, il avait reçu à demi-mot l’invitation à s’entremettre dans cette idylle d’hôpital ; il s’y était prêté avec de l’empressement, presque de la vivacité. C’était se ménager avec mademoiselle Rhonans le colloque le plus curieux, le plus instructif qu’il pût avoir au