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Page:Yver - Les Cervelines.djvu/19

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charmante fille, dévouée, jolie et tendre. Elle avait refusé deux mariages qui la séduisaient, en songeant à la solitude que son frère en éprouverait. Tout le long du jour, elle écrivait ou brodait en chantant. Mais le soir, il lui venait des tristesses et des larmes sans fin et sans motif ; c’est pourquoi son frère ne voulait pas la voir prolonger ses veillées. Elle aimait aussi beaucoup son chien, un fort terre-neuve qu’elle mangeait de caresses.

C’était une nuit de mai très obscure, bien que le ciel fût libre. Le vacillement des étoiles était si vif, qu’on les aurait crues incessamment soufflées par le vent. Mais c’était une nuit profonde et tiède, sans lune, de celles qu’aiment les vrais amis de la Nuit. Tisserel éprouvait un plaisir indistinct à s’y promener, et il fit un détour pour reconduire chez lui, rue des Bonnetiers, l’ami qui l’avait accompagné ce soir. Redevenu correct d’aspect, le chapeau droit, la redingote serrée au corps, la cigarette aux doigts, contre son ordinaire il parlait peu ; mais, sous l’influence d’un certain contentement intérieur, il chantonnait, et il scandait son allure en marchant, au rythme à deux temps de sa chanson, la valse de Froufrou, qui depuis quelque temps obsédait la rue, à Briois.

Ils suivirent d’abord la rue Jeanne-d’Arc, celle qui, remontant la pente douce de la ville, du quai aux boulevards, coupe Briois en deux parties, la vieille cité aux silhouettes gothiques, et la neuve, celle des marchands de coton. C’était une nuit d’un bleu sombre ; les trottoirs étaient gris perle, et il y tombait de chaque lampadaire électrique des lueurs violettes ; les maisons n’étaient que