Page:Yver - Les Cervelines.djvu/191

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— Oh ! toute sa vie ! répéta-telle, railleuse.

L’ironie de ces quatre mots glaça Jean : il n’était plus question des amours de Tisserel ; il y retrouvait vifs le scepticisme d’Eugénie Lebrun, l’impassibilité de Jeanne Bœrk, la théorique cruauté de la Cerveline. Il eut l’idée que, devant cette jeune et charmante Rhonans, si vibrante, il pourrait parler indéfiniment de ces tendres choses sentimentales, de ces touchantes peines amoureuses qui émeuvent toutes les femmes, sans éveiller en elles autre chose que le dédain de la passion.

— J’avais bien raison, se dit-il, elles sont toutes les mêmes, les nonnes du dieu Cerveau !

Et durant une minute il détesta Marceline du fond de son cœur. Elle continuait :

— Toute sa vie, c’est beaucoup dire. Le sentiment de monsieur Tisserel n’est pas de ceux qui symbolisent l’éternité ! En avez-vous eu du moins des exemples, monsieur ?

Cécile se souvint qu’il avait oublié Eugénie Lebrun en six mois, il eut un peu honte de soi et se réconcilia du coup avec les jolis yeux de Marceline qui le regardaient, en disant cela, si spirituellement.

— Tisserel, reprit-il avec une gravité profonde ; est un homme délicat, sûr et bon. Il chérira toujours, d’une affection qui se creuse au lieu de s’évanouir, la femme qui se sera donnée à lui, et cette femme-là sera une créature privilégiée ; si vous saviez quelle bonne pâte d’être cela fait ! ajouta-t-il en riant.

— Je le sais bien, dit Marceline, je l’ai dit à Jeanne. Il y a longtemps que j’ai compris la belle nature de monsieur Tisserel. Je le lui dirai encore.