Page:Yver - Les Cervelines.djvu/200

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

charnues et dorées de cils, abaissées, la lèvre grave, elle était à regarder ainsi indiciblement pudique. C’était toute la tranquillité physique de son être traduite au dehors.

— Je défie n’importe qui reprit-elle, magistralement sûre de soi, de trouver contre moi un mot à dire.

Marceline n’objectait rien. Jeanne avait raison ; ce n’était pas sa vertu qui s’imposait, c’était une sorte de supériorité impeccable, la force d’une essence spéciale.

— Et puis, ajouta-telle encore, ce que l’on dit de moi, je m’en soucie comme d’une guigne ! Tout au plus m’en inquiéterais-je au point de vue de la clientèle, et je sais qu’on ne pourra rien dire ; alors…

— Alors vous demeurez sans pitié ?…

— Marceline, demanda Jeanne gravement, que feriez-vous à ma place ? Répondez-moi, franche comme vous êtes.

Mlle Rhonans, « franche comme elle était », ne répondit pas. Elle hésitait véritablement incertaine de son exact sentiment sur l’affaire. Les choses de l’amour la mettaient toujours en défiance, elle les jugeait froidement, en philosophe et, les dépouillant de tout l’illusoire qui les enveloppe, les pesait dans leur excessive légèreté. Mais les arguments que sa compassion pour Tisserel lui avait suggérés se retournaient maintenant contre elle ; ils obscurcissaient presque agréablement son impitoyable clairvoyance. Elle répondit, comme un abstinent qui parlerait d’ivresse, quand il vient de respirer une liqueur capiteuse :