Page:Yver - Les Cervelines.djvu/202

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niaises, et toutes vouées fatalement à la loi de la passion de l’homme.

— Les meilleures seront les plus tendres se disait-elle ; et elle aimait mieux, inconsciemment, non les plus studieuses, mais les frimousses naïves, irréfléchies, en quête toujours d’un baiser déjà. Fallait-il être forte comme Jeanne ?

À l’amphithéâtre, où elle arriva le soir avec un cours à peine préparé et qu’elle dut lire en partie, tant le travail de sa journée avait été mal agencé, elle eut à plusieurs reprises la tentation de s’arrêter. Elle abrégea. C’était une belle nuit d’hiver, blanchie de clair de lune. Quand elle sortit, des couples furtifs se promenaient au long des murs, dans les rues. Elle observait les femmes abandonnées au bras de leurs amants et qui paraissaient si bien, dans ce geste, la figure de l’amoureuse, démente, trompée, victime du mensonge éternel, du seul qui puisse recommencer tous les jours sans qu’on cesse d’y croire. Fallait-il être faible comme elles ?

Aimer ? ou vaincre l’amour ? Son sommeil fut plein de cette incertitude. Dès le matin, trois jeunes gens qu’elle préparait au baccalauréat pour l’histoire vinrent prendre leur leçon. Rien ne lui donnait plus le sentiment de sa maîtrise et de sa puissance que d’être à son bureau devant ces trois grands garçons vigoureux qui copiaient docilement sur de petits cahiers, avec une aveugle confiance en ce qu’elle disait, les mots tombés de ses lèvres. Ils étaient timides, ne prononçaient pas devant elle une parole qui n’eût trait à son enseignement ; ils lui récitaient des leçons et lui donnaient l’impression d’être elle-même un