Page:Yver - Les Cervelines.djvu/21

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saient un coin de la cheminée dans la chambre du docteur, boulevard Gambetta. À treize ans, c’était un délicieux visage, les cheveux foncés et bouclés, les yeux tendres. À quinze ans, l’aspect féminin de cette physionomie, où rien de viril ne naissait encore, subsistait. Quelques mois plus tard, un trait vague encore, la moustache à demi dessinée bouleversait tout. Puis ici venait une lacune et il reparaissait, homme enfin, à vingt-trois ou vingt-cinq ans, les sourcils accrus, les cheveux épaissis, la barbe poussée, tout le masculin appareil pileux, barbare, farouche, encadrant les yeux bleus de femme.

Le contraste était d’ailleurs dans tout son être. Délicat et mal membré, il possédait une voix gutturale et forte, un baryton qui vibrait d’énergie, de mâle maîtrise ; et, timide comme il était, taciturne, triste, presque craintif, il avait mangé dans le temps de ses études, à Paris, le tiers de ce que possédaient ses parents, qui étaient de riches commerçants à Briois.

Il avait l’âge de Tisserel : trente-deux ans mais il venait seulement d’arriver de Paris où il avait fait ses études, pour s’établir ici, n’ayant voulu que fort tardivement passer son doctorat, — poussé toujours par des raisons mystérieuses comme sa personne.

Il était à Briois pour sa vie. S’il en était heureux ou fâché, personne ne pouvait le savoir, à ceux qui l’interrogeaient, il répondait par le même sourire sans joie qui n’était qu’un effort d’amabilité vers eux. Mais pour Tisserel, il avait un regard particulier, profond, grave et dévoué, qui disait son amitié d’exception.