Page:Yver - Les Cervelines.djvu/222

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Elle aurait mis de bon cœur sur le compte de cette tristesse nouvelle tout cet appareil tragique où Marceline les avait surpris ; mais celle-ci, pour s’y tromper, était trop fine. Elle les regardait l’un et l’autre indulgemment, sachant bien ce qui était entre eux, puis elle dit à Tisserel :

— Je comprends votre peine, docteur, et je m’y associe sincèrement ; mais qui vous défend d’espérer encore ? Le germe de votre espérance est dans votre petite sœur elle-même.

— Et si elle ne guérissait pas ? murmura : t-il accablé.

— S’il fallait que cet horrible malheur vous arrivât, dit-elle de sa manière exquise, je voudrais qu’il y eût près de vous un cœur digne de vous, qui vous consolât, et je veux croire que vous l’aurez ; je vous estime assez même, docteur, pour souhaiter que ce fût le cœur de ma meilleure amie.

L’acte de bonté un peu hardi qu’elle avait commis, à la face même de Jeanne, fut payé sur le champ par le regard de folle reconnaissance que Paul leva sur elle. Son rigorisme froid de travailleuse cérébrale avait fléchi soudain, devant la détresse d’amour qu’elle avait comprise dans cette âme d’homme, elle qui ne pouvait voir nul être souffrir. Dès maintenant, elle condamnait Jeanne à tout hasard et sans réflexion. Elle se tourna :

— Ma chérie, fit-elle très émue, je le devine, c’est vous qui avez fait peine à monsieur Tisserel.

— Si vous-saviez !… finit-il lui-même.

Dure et impassible, Jeanne Bœrk entendait tout dans une irritation secrète. Elle en voulait à Mar-