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Page:Yver - Les Cervelines.djvu/225

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— En vérité, ma chère, je ne sais ce que vous avez aujourd’hui, répliqua Jeanne qui s’était ressaisie, mais franchement, je vous ai trouvée stupide.

— Il est possible que je le sois, Jeanne, aussi je m’en vais ; seulement, laissez-moi vous dire mon impression : les femmes ne doivent pas être faites pour abreuver de chagrin l’homme qui les aime, ainsi que vous en avez agi.

— Attendez donc que nous causions.

— Pas aujourd’hui, j’ai à faire.

Elle n’avait jamais connu le trouble qu’elle éprouvait. Il lui fallut, après cette visite, se rendre au lycée ; son travail lui était à charge. Il lui venait un ennui de tout. En parlant, en lisant, en corrigeant la tâche des petites lycéennes, elle avait toujours présent à l’esprit le cas de conscience de Jeanne. Quand elle fut revenue chez elle, au lieu de s’asseoir à sa table à écrire, comme elle en avait coutume, elle restait oisive dans sa chambre. Elle songeait à ce qu’elle avait vu : Tisserel aux pieds de Jeanne, l’aspect héroïque, farouche et douloureux de la passion, sa violence et sa douceur. Elle revoyait la belle et rigide statue qu’était demeurée son amie sous l’effusion de ce mystère sacré. Elle ne dédaignait plus : elle avait senti là quelque chose d’auguste et de délicieux, et dans le secret de son être, elle éprouva soudain la douleur nouvelle : l’envie de l’amour.

Elle fut jalouse de Jeanne. Non point pour les Splendeurs corporelles qu’elle possédait, ni pour ses traits, ses yeux royaux, dans la chair grasse et fine du visage ; mais pour l’inoubliable regard