Page:Yver - Les Cervelines.djvu/231

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celui auquel jamais elle n’avait cessé de penser. Le revoir ! C’était cette idée qui la faisait vibrer comme une créature de vigueur dans les bras de Paul, qui lui donnait ses larmes heureuses et l’air de mourir. Lui la questionnait tendrement, qu’avait-elle ? Il s’inquiéta, la tourmenta. À la fin, cette ardeur de mourante l’éclaira ; il se souvint qu’elle avait vingt-trois ans, qu’elle possédait sur la vie des droits puissants, que ce petit cœur infiniment frais et pur pouvait bien s’être gonflé de tendresses secrètes pour quelque être de rêve qu’aiment les jeunes filles ; quelque poitrinaire de là-bas… Qui savait ?

— Ma petite Henriette, murmura-t-il en cherchant des mots exprès pour toucher à ces délicatesses, n’y a-t-il pas dans ton cœur… un nom…

Elle ne répondit pas.

— À qui penses-tu en cette minute, Henriette ?

Le faible sang qui la faisait encore vivre n’eut pas la force de monter à ses joues ; elle ne rougit pas ; ses yeux morbides n’eurent pas une lueur quand elle dit :

— C’est à Jean !…

Elle défaillit seulement un peu plus dans l’oreiller.

Tisserel fut pris d’un grand trouble devant la découverte de ce secret. L’âme d’Henriette lui parut soudain un abîme. Elle aimait. Il la contempla comme une femme nouvelle. Défigurée, dans sa chair fanée, sous les choses mortes et figées qu’étaient devenus ses yeux fleuris, et l’aspect horrifiant de la mort qui s’affirmait déjà, elle lui parut belle. Aux plis de sa bouche, la souffrance des affections meurtries, qu’il connais-