Page:Yver - Les Cervelines.djvu/232

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sait si bien, se dessinait ; médecin et en même temps expert douloureux en ces choses, il comprenait et analysait les battements de son cœur alourdi, et jusqu’à sa fatigue de porter en soi ce fardeau de son cœur. Il l’embrassa longuement au front comme une chose sacrée. « Voilà donc ce que c’est qu’une femme qui aime ! pensait-il dans une cruelle envie, en la tenant ainsi, ne pesant guère plus à son bras qu’un cœur aux palpitations sourdes ; la voilà, vibrante, tremblante, amoureuse de l’ami lointain, dont sa pensée depuis des années, peut-être, est pleine. Elle n’a plus qu’un souffle de vie, elle le lui donne ; il lui vient un espoir absurde de guérir, elle le retourne vers lui ; tout ce que je tiens ici, tout ce qui fut un être charmant, tout ce qui est encore une vie humaine, la plus haute, la plus exquise, est à Jean ; elle lui est donnée en pensée, mon Henriette ; ce que je dis être mon Henriette, et qui est son Henriette à lui, sans qu’il s’en doute, le malheureux ! »

— Tu l’aimes, lui, Cécile ?…

Et il ajouta ce cri naturel de la curiosité familiale entre frères et sœurs, qui s’indignent et s’irritent de tout ce qui peut se jouer dans le cœur des autres à leur insu.

— Depuis quand ?

— Depuis presque toujours, fit-elle, les yeux clos, épuisée ; je puis bien te le dire, c’est vrai, mon pauvre Paul, je ne sais ce qui me retenait si fort de tout te conter. Je le voulais, au fond, pour que tu le lui dises quand j’aurai disparu, si je ne me remets pas. C’est surtout quand il est revenu