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Page:Yver - Les Cervelines.djvu/233

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se fixer à Briois ; j’ai senti que c’était l’être pour qui j’étais créée ; j’éprouvais que je lui aurais obéi avec délices ; il m’aurait demandé de le suivre dans un désert, je l’y aurais suivi ; il m’aurait demandé de souffrir toute ma vie pour le rendre heureux, j’aurais souffert en jouissant comme tu ne peux le savoir ; il m’aurait demandé ma jeunesse, ma joie, ma santé, je lui aurais tout donné, Paul, tout ! Hélas, il ne m’a rien demandé du tout ; et je me suis sentie bien inutile alors, bien bonne à rien. La maladie m’a prise. S’il m’avait aimée, il y aurait peut-être eu en moi un ressort qui se serait levé pour réagir, pour lutter. Je n’avais pas le courage. Oh ! il m’a fait bien du mal sans le savoir… le pauvre ami. Si je meurs, tu le lui diras après… je veux qu’il sache.

Il la vénérait en ce moment avec une religion plus profonde ; il se répétait :

— Voilà ce que c’est qu’une femme qui aime, qui ne s’appartient plus, et qui, blessée à en mourir, aime encore celui qui la tue ! Voilà pourquoi elles sont faites ; voilà ce qu’elles devraient être toutes ; voilà ce qu’un homme devrait adorer à genoux quand il le rencontre.

Il s’expliquait mieux à présent la marche souveraine du mal sur la pauvre nature déprimée par son chagrin d’amour. Elle avait eu, pour expliquer tout, un mot de lucidité : « S’il m’avait aimée, il y aurait peut-être eu en moi un ressort qui se serait levé pour réagir. » C’était cette réaction animale de tout être jeune et vital sur les causes morbides qui avait fait défaut. Sa peine la minait en même temps que le bacille. Il avait été loisible au mal d’aller vite.