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Page:Yver - Les Cervelines.djvu/239

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Un bien-être la prit. Elle pensa qu’après la crise bizarre traversée elle allait reconquérir les nobles habitudes d’autrefois. Elle aimait son auditoire en masse, comme une personnalité ; une personnalité née d’entrer à l’amphithéâtre, à deux ou trois cents pour l’entendre. Jamais elle ne s’était sentie le posséder mieux ; jamais elle n’avait connu ainsi son pouvoir, sa maîtrise sur ces cerveaux épris d’elle ; sans détailler tous ces visages d’hommes ou de femmes sous l’éblouissement de tant d’yeux qui la dévoraient, elle reconnaissait à la volée les rangées accoutumées, les groupes des jeunes gens à droite, certains chapeaux de femmes, où parfois, dans l’effort de la phrase cherchée, son regard s’était obstiné comme il arrive à ceux qui parlent en public. Elle avait ce qu’elle appelait l’exaltation des grands jours, la sensation d’art et de force qu’elle aimait tant éprouver en parlant.

Pour ceux qui l’écoutaient ce soir-là, ce fut une magie. Insensiblement, par sa parole, elle avait fait disparaître les formes du lieu. L’amphithéâtre n’était plus, ni ses hautes baies cintrées où flottait la toile blanche des rideaux froncés, ni ses lustres électriques éclairant la descente des gradins, ni le tableau noir gigantesque du fond qui se coulissait par feuilles horizontales au gré du maître. Une peinture vague de l’antiquité, teintée de couleurs de rêve, se faisait à leurs yeux. Il passait dans l’air comme une procession légère d’Athéniennes aux lignes pures ; Marceline évoquait jusqu’aux battements de leur voile, analysé strictement au poids même de l’étoffe, jusqu’au piétinement de leurs sandales de cuir, jusqu’à la cadence