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Page:Yver - Les Cervelines.djvu/246

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lignes pouvaient très justement l’emplir. Plutôt qu’un grand orgueil, elle en concevait cette quiétude agréable de sentir sur soi la complaisance des sphères plus hautes. Ainsi ses chefs, cette lointaine et profonde hiérarchie, dont elle dépendait, mettaient en elle leur confiance et leur admiration. Elle en éprouvait une joie presque naïve ; elle n’y avait jamais songé ; elle l’ignorait. Mais pour le point de la lettre qui répondait justement au désir de sa vie même, il la laissa presque indifférente.

— M’en aller ? se demanda-t-elle, pourquoi ?

Elle omit de se poser la question inverse :

— Ne pas profiter de l’offre, pourquoi ?

Elle connaissait assez le discret personnage qui lui avait écrit ces lignes pour ne pas deviner que tout ce qu’il lui disait était dit à bon escient, et au nom même de ceux-là dont mystérieusement il parlait. C’était presque une avance que lui faisaient là ses supérieurs, un engagement qu’ils prenaient de se prêter à ses désirs, elle se sentit l’enfant gâtée de l’austère administration, et elle s’en contenta. Il lui venait un sens nouveau de sa jeunesse, qu’elle n’avait pas eu l’autre jour en se lançant en cette affaire. Elle se regardait à la glace et se disait : « de suis une jeune fille. » Elle : avait en effet vingt-six ans, et sa forme vive, ses yeux bougeants et gais les démentaient encore. Et soudain l’excursion formidable, non point tant dans les lieux que dans le temps, l’écrasait. « Je suis heureuse ici », pensait-elle, ayant oublié le marasme et la solitude où elle avait été prise l’autre jour de cette idée : fuir Briois. Et il lui semblait salutaire de jouir encore quelques années de cette agréable