Page:Yver - Les Cervelines.djvu/248

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leusement cher. Il lui venait des larmes comme elle n’en avait jamais eu ; si paisibles, si douces !

— C’est beau et bon, s’avouait-elle ; et je n’ai pas honte ; c’est divin ! S’il veut ma vie, je la lui donnerai, et je sens qu’il la veut ; je sais qu’il va venir, un jour, bientôt, demain peut-être, et qu’il me la demandera. Cher ami ! cher ami !

Elle n’en disait pas plus, ce vocatif suffisait à toute l’émotion de son âme. Les mots de passion qu’elle avait entendus autour d’elle, dédaigneusement, riant volontiers de leur niaiserie enivrée, ne pouvaient convenir au sentiment simple qui la possédait. Elle était surhumainement heureuse ; si loin au-dessus de tout, que le plus fort argument de sa philosophie de cérébrale contre l’amour ne lui était même plus sensible. Une chose mystérieuse l’avait soudain portée à ces altitudes où elle gardait l’impression illusoire que nul n’avait jamais atteint ; ce qui lui ôtait toute faculté d’un jugement qui s’exerce par comparaison.

On sonna. Elle reconnut la voix de Jean et elle s’effraya d’avoir eu à ce point le sens de sa venue prochaine ; car alors c’étaient déjà leurs esprits irrémédiablement, occultement enchaînés par des forces qu’ils ne pouvaient ni mesurer ni maîtriser. Et elle se sentit si pâle, si défaite à sa venue, qu’elle écarta de son visage la lampe, pour être moins vue de lui.

Ils étaient aussi tremblants l’un que l’autre. Lui s’excusa de venir, il donnait pour prétexte de sa visite, qui serait très hâtive, un dernier mot qu’il lui devait concernant Tisserel et Mlle Bœrk. Marceline le recevait pour la première fois