Page:Yver - Les Cervelines.djvu/259

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votre personne dont je suis indigne ; je ne vaudrai jamais la bonté que vous avez de ne pas trop me dédaigner. »

Elle comprit, avec un peu de chagrin, qu’il n’en sortirait pas ; c’était bien là la lettre masculine où l’homme, avec tout l’esprit qu’il possède, peut s’acharner, faute de n’avoir su du premier coup la dire assez subtilement, à une idée fixe, thème sur lequel maladroitement il brode ses enroulements de pensée épaisse. Elle ne l’en aima pas moins. Elle eut seulement le sens douloureux que deux esprits, si épris l’un de l’autre soient-ils, ne fusionnent pas.

En effet, leurs lettres d’amour continuent sur ce ton respectif. Ce n’étaient de leurs sentiments réels que de vagues émanations ; chacun d’eux en souffrait et s’y complaisait ; et pendant que se succédaient, s’entre-croisaient, se poursuivaient ces petites enveloppes anodines où était censée se condenser la passion de ces deux êtres, chacun d’eux, dans le mystère de sa vie, jouait le véritable drame de leur amour.

Quand il avait deviné que cette idéale Rhonans, si impénétrable et inaccessible jusqu’ici, abdiquait pour lui l’orgueil de sa liberté, ivre de joie, de cette joie qu’il cherchait péniblement à exprimer, à épuiser dans ses lettres, il n’avait plus songé qu’à hâter l’union à laquelle la veille il n’aurait osé croire. L’admirable mariage que ce serait ! En revenant chez lui, il remeubla en rêve sa chambre, où il n’entrait plus sans une impression exquise d’attente certaine. « Je la recevrai ici, » pensait-il. Et il imaginait de merveilleuses étoffes, des couleurs féeriques pour les draperies, des bois rares,