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Page:Yver - Les Cervelines.djvu/267

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cigarettes qui sont très gentilles à lui voir tenir ; c’est pour elle ce qu’est aux autres femmes un bonbon ; un bonbon capiteux dont son pauvre cerveau fatigué, mené rudement comme celui d’un homme, a quelquefois l’impérieux besoin. Je n’aimais pas absolument cela tout d’abord, mais vraiment, dites-moi où est le mal ?

— C’est un geste de mauvaise femme, reprit la mère implacablement ; je ne te dis pas qu’il soit une faute, mais il éclaire la nature de celle qui le fait ; il est l’indice d’une émancipation d’esprit qui en dit long sur elle ! Une femme qui fume ! Est-ce que ton père me l’aurait permis, Jean ? Est-ce que tu imagines ta mère ayant aux lèvres une cigarette, est-ce qu’elle serait alors pour toi ce qu’elle a été ? Une femme qui fume ! elle dit : « Je me moque de tout, de ma réputation, du bon genre, des traditions, de l’usage… »

— Maman, elle ne s’en moque pas, seulement elle les raisonne ; elle prend des traditions ce qui en est bon…

— Ne pas les prendre toutes, c’est se détacher de ceux qui les ont pratiquées des générations avant vous : méfie-toi de la femme qui prend dans les traditions seulement ce qui lui plaît, car dans le ménage, combien de choses traditionnelles finiront par ne plus lui plaire ! Méfie-toi surtout de cette femme savante, mon pauvre Jean, qui sera plus occupée de ses livres que de toi…

— Savez-vous de quelle manière elle m’aime ? fit-il la gorge serrée.

— Oui, je le sens ; je ne peux te l’expliquer ; je le devine ; j’ai peur, mon pauvre enfant, j’ai peur pour toi.