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Page:Yver - Les Cervelines.djvu/269

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politique, dont il avait toujours un livre à la main. Et s’il entretenait ces dames de sujets anodins où revenait souvent la bottine, il pouvait causer avec n’importe lequel de leurs maris, auxquels il citait couramment Proudhon, son grand homme. Pour ce qui n’était pas de ce sujet, il empruntait volontiers à sa femme ses jugements. Elle lui avait parlé depuis la veille de Mlle Rhonans et du projet qu’avait conçu leur fils. Il fut désolé de sa propre désolation et n’eut pas la tentation de défendre contre elle le sentiment qu’il comprenait mieux qu’elle, cependant.

Jean les trouva butés à cette idée ferme que Marceline, cette créature de bonté et de dévouement, n’était qu’une organisation orageuse, déformée, incapable d’assurer à un homme le bonheur de toute une vie. Les mêmes propos qui avaient été dits la veille furent échangés. Tous les arguments de Mme Cécile, qui dormaient en elle en infrangible conviction, s’exprimaient incomplètement, malaisément, par ces subtilités. L’innocent nuage de sa cigarette teignait toujours la jeune savante de couleurs libertines que l’austère bourgeoise n’aurait su admettre. Mais Jean s’exaspérait ; il retenait ses colères pour ne point perdre tout. Il s’ingéniait à des souplesses d’humeur, à des supplications. Sa peine éclata. Alors son père s’émut le premier. Ses prétentions intellectuelles s’accommodaient assez de l’intellectualité forte d’une telle belle-fille. Il n’avait pas, quoique plus logique, le sens intuitif qui permettait à sa femme de parler juste sur ce qu’elle ne connaissait pas, souvent. Il était ébranlé. Il prit son fils dans ses bras et lui dit des douceurs. Le