Page:Yver - Les Cervelines.djvu/273

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encore à sa montre pour que l’heure fût achevée, elle leva la séance. Elle avait de revoir Jean, de lui parler, de s’expliquer avec lui un besoin infini. Elle pensa que, comme l’autre jour, ils se rencontreraient sur le boulevard désert, loin des curieux ; et dans la rue, sous les lampadaires bleuâtres, elle se mit à marcher doucement, lentement, l’attendant. Elle gravit ainsi la rue Jeanne-d’Arc, ralentissant son pas chaque fois que derrière elle elle devinait la marche qu’elle croyait reconnaître ; mais elle gagna le boulevard avant qu’il ne l’eût rejointe ; et elle s’en alla de cette allure attardée d’une femme qui attend, sous les rangées des platanes noirs. Il n’y vint pas.

Alors en rentrant, se rendant compte que depuis cinq jours elle avait vécu sur la pensée de ce rendez-vous imaginaire, dans la rue, ce soir, elle eut un désespoir d’enfant, une crise de larmes comme elle ne s’en était jamais connu. Pourquoi n’était-il pas venu à elle, que se passait-il dans son cœur ?

Elle ne disait plus : « Comme je suis heureuse ! » mais « Comme je souffre ! » Et en effet elle avait beau remonter dans ses souvenirs, elle ne trouvait rien de plus déchirant que cette déception atroce de n’avoir pas vu Jean ce soir, comme elle l’avait tant désiré. Que d’inquiétudes en découlaient que d’incertitudes sur ce qui s’était joué dans l’âme de son ami, que de honte à la pensée d’avoir été devant lui si peu brillante !

De la nuit, elle n’en put dormir. Où étaient ses nuits calmes d’autrefois, où le poids de la fatigue cérébrale l’entraînait, à peine les yeux clos, dans un sommeil invincible, tranquille, peuplé de