Page:Yver - Les Cervelines.djvu/279

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

entendre que ce dont votre pensée même est la source ; vous avez lu ; c’était encore pour moi entendre votre chère voix ; je n’ai pas écouté Thucydide, mais la voix qu’il empruntait. Vous croyiez donc avoir mal parlé ? Mais vous m’avez émerveillé comme toujours.

— Cher ami, reprit-elle affectueusement, pouvais-je vous demander de me juger ! Et pourtant j’étais coupable ce jour-là ; j’avais manqué de conscience, j’avais essayé de me soustraire au travail qui est toujours nécessaire, et de parler sans préparation. J’en ai été punie par un petit chagrin celui de ne pas vous rencontrer le soir comme à notre dernière promenade…

Il ne répondit pas : elle vit qu’il souffrait ; elle se demanda de quoi et s’offensa qu’il y eût dans son âme, pour elle, des secrets, surtout un secret la concernant. Elle vit s’altérer le masque maigre et mat où se crispaient des rides de douleur, et l’expression du regard bleu qui semblait venir de si loin. Elle lui dit, de ce ton ineffable de la femme qui aime et qui a pitié :

— Qu’est-ce qu’il y a ?

— Nous n’en sommes plus à nous cacher la vérité, reprit-il avec effort. Vous m’en voudriez si je ne tendais pas au contraire à faire tomber tout ce qu’il y a d’obscur entre nous. Chère Marceline, j’ai un grand chagrin !

— Pour tout chagrin comme pour toute joie, interrompit-elle, vibrante, nous sommes deux désormais.

— Oui, nous sommes deux, et c’est pourquoi je souffre double. Mes parents qui sont des cœurs simples, unis dans un idéal mariage, au milieu