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Page:Yver - Les Cervelines.djvu/282

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mille distances, ils seraient solitaires à deux, rivés l’un à l’autre.

— Racontez-moi ce que vous a dit votre mère quand elle m’eut vue, demanda Marceline à la fin ; ne me cachez rien ; je l’aime d’avance, invinciblement, puisqu’elle est votre mère, et qu’elle ne me haïra que de trop vous aimer.

— Elle ne vous haïra jamais, Marceline, puisqu’elle vous a vue. Mon père m’a dit de vous : « Elle est charmante » et ma mère : « Elle me plairait beaucoup. » Comprenez la subtilité de ce conditionnel déjà conquis, séduit, sous le charme, et qu’épouvante toujours l’étrangeté de votre cérébralité trop puissante. Vous voulez savoir tout ? Elle m’a répété : « Mais cette femme-là te préférera toujours ses livres ! »

— Lui avez-vous dit que vous étiez sûr du contraire ? demanda-t-elle avec le plus tendre, le plus dévoué des sourires, qui faisait à celui qu’elle aimait l’absolue promesse.

— Je lui ai dit ce que je croyais alors, mon amie, et que je sais maintenant : quelle confiance je pouvais avoir en votre cœur.

— Et alors ?

Jean se troubla. Il ne pouvait plus continuer la révélation de cet entretien qu’ils avaient eu, si terrible, acharné, attisé d’une double passion, la commerçante perspicace, lucide, judicieuse, de sang-froid, et le pauvre amoureux produisant comme argument unique, sa propre fièvre aveuglée. Ils s’étaient dit là, la mère et le fils, touchant cette mystérieuse Rhonans, des propos intimes et redoutables ; ils l’avaient analysée, cherchant l’impénétrable anatomie de cette âme anormale.