Page:Yver - Les Cervelines.djvu/291

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captivité ; lentement, en songeant, elle boutonnait au poignet son long gant noir ; ses yeux tombèrent sur les photographies qu’éclairait à peine sa lampe. C’était Beyrouth ; vues insignifiantes, aux petites constructions orientales, hérissées çà et là de la palme d’un arbre exotique. Son imaginative puissante y faisait autrefois revivre Tyr ou Sidon. La vision de ce qui, à certaines heures d’enthousiasme, s’était édifié en son esprit des splendeurs phéniciennes, lui revint. Son cœur se serra : elle rappela désespérément le souvenir de Jean. Elle prononça à mi-voix : « Je l’aime ! »

La flamme de son art l’avait ressaisie. Devant son auditoire de ce soir-là, elle prit sa revanche. Elle parlait dans des circonstances troublantes où s’exaltait son talent. Jean était là, devant elle, et pendant que ses yeux attendris se posaient sur lui, tout son cerveau vibrait d’une ivresse de pensée et de création. Il lui semblait, en parlant, faire l’adieu dernier à cette antiquité dont elle était si éprise ; elle s’y plongeait, s’y baignait, s’y noyait. Elle causa des jeux enfantins en Grèce. On la sentait vivre en ce passé nuageux. Elle rappelait, par des silhouettes de statues tanagréennes, esquissées en croquis au tableau, certains groupes qu’on aurait crus mythologiques, et où elle voyait seulement la reproduction d’un amusement de gamins athéniens ; tel celui où l’enfant vaincu au jeu de la balle doit porter sur ses épaules le vainqueur. Comme si elle avait voulu dire à Jean : « Voyez ce que vous perdez à clore mes lèvres… » elle déploya presque à l’excès la plus minutieuse érudition et son art de parole ; elle allait avec une sorte de témérité, touchant à tous les sujets, à