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Page:Yver - Les Cervelines.djvu/293

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seulement tort à votre mère qui m’impose, pour votre soi-disant bonheur, un semblable écrasement de moi-même.

Et il vit, sous les fourrures, sa poitrine se soulever d’un tel soupir, qu’il comprit à ce moment la totalité de ce qu’elle endurait.

— Marceline, dit-il, vous ne souffrez pas plus que moi.

— Il me faut choisir entre vous et le déchirement de ce qui fut jusqu’ici ma vie !

— Et moi, je dois vous demander de faire ce choix ! Est-ce que ce n’est pas plus terrible encore, moi qui donnerais ma vie pour vous rendre heureuse !

Cette fois, la nuit sans lune ne les enveloppait plus que de ténèbres. Ils obliquèrent ensemble, presque d’un même instinct, vers les ruelles qui grimpaient, entre les jardins, la côte du Bois-Thorel. Ils éprouvaient une consolation physique à marcher dans ce noir sans être vus, presque sans se voir. Ils ne savaient pas où ils allaient ; ils cherchaient machinalement à se perdre, comme leurs esprits se perdaient aussi dans d’insondables sentiments.

— Choisir entre mon métier et vous, Jean, du premier regard c’est chose facile, car, je n’ai pas de honte à vous le dire, mon ami, je vous aime. J’ai vu dans le mariage la perte de ma liberté, de cette absolue tranquillité intellectuelle si favorable au travail ; j’avais rêvé d’une œuvre que je préparais lentement, qui devait être celle de ma vie, mon but, et dont je ne vous ai jamais parlé : une Histoire de l’antiquité que j’aurais écrite vieille, sur tous les matériaux amassés dans mon