Page:Yver - Les Cervelines.djvu/294

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existence, dans mes voyages, dans mes études ; j’ai vu dans le mariage l’impossibilité d’une tâche qui m’aurait demandée toute, et sans hésiter, quand vous m’avez dit : « Voulez-vous être ma fiancée, » vous le savez, je vous ai répondu que je l’étais. Mais me sevrer de tout ! me retirer ma raison d’être faire de moi un être nouveau, me donner une autre vie, me changer, me faire mourir enfin, car mourir n’est que cela !…

— Marceline ! cria Jean, oubliez ce que je vous ai dit, je ne veux que votre joie, je vaincrai ma mère.

— Non, fit-elle tristement, vous ne la vaincrez ni ne la convaincrez : c’est moi qui dois l’être. Je me résignerai ; vous me tiendrez lieu de tout. Je vois qu’il se fera en moi un vide terrible quand je n’aurai plus le travail auquel je suis en proie depuis dix ans. Vous le comblerez.

Et sur cette phrase, l’un et l’autre, sans se le dire, comprirent en quoi résidait le nerf du délicat et profond problème de douleur. Le vide terrible dont parlait Marceline se creuserait dans son intelligence, dans cette divinité avide qu’elle avait accrue et alimentée en elle par l’offrande continue de ses activités ; dans ce que Cécile, expert en cette psychologie, avait un jour de rage appelé le dieu Cerveau. C’était là qu’une fois la divinité délaissée s’agrandirait chaque jour le gouffre ; et tout ce que son cœur de femme, faible partie de son être puissant, élaborerait de plus tendre, n’aurait rien de commun avec cette faim inassouvie.

— Alors, redit-il, égoïstement joyeux quand même, malgré l’infamie qu’il y a eu de ma part