Page:Yver - Les Cervelines.djvu/296

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je m’étais mis à regarder la ville ; je vous connais, sais alors un peu, très peu, mon amie, car c’est à cet instant même que je commence à vous connaître vraiment ; mais déjà, en ce matin lointain, dans tout Briois, dans ses rues, dans ses monuments, parmi ses toits infinis, je n’avais voulu deviner que le vôtre, je le cherchais anxieusement, passionnément. Je croyais ne voir alors en vous qu’une grande et charmante savante dont la bonté m’attirait ; mais quand, à force de recherche et de fièvre volontaire, j’eus découvert sous les platanes du boulevard, alors ronds et verts, votre chère maison, un tel mystère se passa en moi qu’une lumière s’est faite. Oh ! comme vous m’avez pris, Marceline, et jamais une femme sut-elle conquérir un homme comme vous !

Nous vivrons là, paisiblement, dit-elle en étendant la main vers la ville, nous étant tout l’un à l’autre !

Ils avaient atteint ce point extatique de l’amour qui en est vraiment le sommet, qui donne cette impression d’infini à faire croire au néant du reste. Comme une autre, Marceline tomba dans ce piège. Elle crut que désormais, hormis Jean, rien ne l’attachait plus ; et elle désira, plus encore qu’elle ne le résolut, l’immolation de tout à celui qu’elle aimait.

Ce fut lui qui s’arracha le premier à cette union muette de leurs âmes. Dans le silence de la nuit, les horloges de la ville lancèrent vers eux l’appel du temps ; elles sonnaient onze heures. Il lui dit : « Il faut rentrer. » Ils ne surent jamais com bien de minutes avait duré ce rêve béatifique, fait dans ce quartier ignoré, en cette route déserte,